20.4.09

Papa DOC


« Elisa entra. Elle confia les chandelles allumées à la mambo. Postel et maître Horace s'occupèrent â retourner leurs vêtements. Elisa ressortit pour faire de même. Dans l'obscurité de la cour, elle inversa soutien, slip, mini-jupe et chemisier. Sor Cisa fixa les cierges, deux noirs et trois blancs sur les points qu'elle estimait stratégiques du vevé. Elle saisit un paquet de feuilles vertes et l'orienta vers les quatre points cardinaux en récitant :

Au nom de Loo Danyiso

Au nom de Loko-pomme-d'Adam
Postel aura des couilles de lion
Pour vaincre les fureurs du mât
Ago, Agosy, Agola !


Après ces invocations la Cisafleur prit Loko par la main. Elle le fit pirouetter lentement devant le lit de Postel et improvisa le chant suivant :

Je suis la tête fraîche des arbres

Je suis Loko-Postel le général Loko Silibo Vavoun
Je suis la clef du long chemin d'homme
qui brille jour et nuit
sous ses pieds
le soleil nous suit pas à pas,
agoyé !


Le loa manifesta joie et fierté à l'écoute des paroles qui célébraient ses pouvoirs. Il se détacha de sor Cisa pour danser seul. Il n'était plus un nègre trapu avec un cou de taureau, ni un petit charpentier de Tête-Boeuf, mais un papa-loa qui s'engageait avec grâce dans les chemins africains de son esprit et de son corps. Il dansait le corps incliné, bras et jambes légèrement pliés, avec un jeu frémissant du dos et des épaules. Tantôt il avançait, tantôt il reculait, faisant glisser latéralement les pieds. Tout à coup il attira Elisa : elle fit immédiatement corps avec le rythme qui montait et descendait dans la voix de sor Cisa. Les ondulations des épaules et des reins d'Elisa, ses entrechats, ses fléchissements de genoux, rivalisaient de feinte et de fantaisie avec le ballet félin de son partenaire. Elle releva des deux mains le bas de sa mini-jupe et se mit à le baisser et à l'élever sans cesse. Sa chair, partout dure, pleine, lyrique, ondulait, se cambrait, s'arrondissait, en mesure. Postel la regardait, fasciné. (…)

Quelques instants après sor Cisa cessa de chanter. Elle ouvrit une bouteille, se remplit la bouche d'une lampée de son contenu. Au lieu de l'avaler, elle en vaporisa le visage de Papa Loko. Le saint loa recula de plaisir. Sor Cisa répéta la vaporisation de kimanga sur Elisa, maître Horace et Postel. Chacun se mit à éternuer, les yeux larmoyants, dans une piquante odeur de tafia, de pimprenelle, de piment. Loko se pencha sur Postel. Il le souleva du lit. Il frotta lentement son front contre le sien. Il lui saisit les mains. Il les éleva, à trois reprises vers les points cardinaux et demanda à sor Cisa de les vaporiser. Loko répéta la même opération avec les pieds de Postel. Sor Cisa sortit précipitamment de la pièce. Elle revint aussi vite avec un coq et une poule qu'elle s'empressa de confier au loa. Papa-Loko invita Postel à enlever chemise et pantalon. L'ex-sénateur s'exécuta. Il apparut en caleçon.

- Ça y est, on me déguise en cadavre, songea-t-il.»


René DEPESTRE
Le mât de cocagne

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