21.4.09

LCbeat

Le sang d'une dorure

Je rentre de l'école. Il est minuit passé. Le chemin est si dur que l'on dirait du plâtre. Je regarde dans le ciel, la constellation du chien. Qui se met à rugir comme cent chiens affamés. Je crois entendre l'harmonica de Bob Dylan. Quelque part. Pas très loin d'ici, mais suffisamment loin pour que je n'entende pas les paroles. Je marche à la lisière de la forêt, la voix de ma mère, elle est morte hier je crois, me dit : ne t'approche pas de la forêt, jamais, jamais, jamais. La maîtresse dit la même chose, Lola Quartz, c'est un drôle de nom, elle a une tête de poupée salope avec ses longues boucles d'oreilles de pacotille, et ses ongles immenses peints en rouge. Un jour, avant que ma mère ne meure, elle m'a branlé sous le préau, nous n'étions que tous les deux. Elle est arrivée derrière moi et j'ai senti ses mains s'insérer dans mon pantalon, elle a ouvert ma braguette, j'ai éjaculé sur le mur, ça faisait une petite flaque ridicule. Elle a ri et quand son cours a commencé, elle m'a regardé d'un œil mort et intime. Ce soir j'ai envie de pénétrer la forêt. Me masturber contre un tronc d'arbre, comme un ours solitaire.


De drôles d'ombres s'emmêlent dans les arbres, avec un vent foisonnant de mots inaudibles. Je repense à Lola Quartz. Souvent je traînais avant de rentrer dans la salle de classe, espérant qu'elle vienne derrière moi, qu'elle prenne mon sexe dans ses mains, mais elle n'est jamais revenu. Je me demande si elle s'est choisi un autre élève, un qui ne ferait pas de flaque sur le mur, un qui saurait quoi faire d'autre que simplement se répandre dans le silence du préau. Une ombre se détache des autres ombres. On dirait une fille dorée. Qui marche pieds nus sur les branches cassées. J'entends le bruit de ses pas. Mais je n'ai pas peur. Je me cache derrière un tronc aussi dur que du béton. Je crois qu'elle ne m'a pas vu. Elle porte une robe courte, qui dissimule à peine ses cuisses blanches comme une feuille encore vierge. Les bretelles sont fines comme des trombones. Je pense qu'elle a quinze ans, quelque chose comme ça. Elle enlève sa robe et je peux voir ses seins. Un halo bleu enveloppe son corps. Ils sont petits et ronds, d'une beauté affligeante, je n'avais jamais vu de fille nue avant.
Elle ne ressemble par à Lola Quartz. Sa peau enivre la forêt. Il n'y a plus un bruit, même le vent a cessé. Une connivence divine semble avoir pris les bois. J'imagine mon sexe se dresser timidement sous mon pantalon, je l'imagine seulement puisque je ne peux détacher mes yeux de son corps.
Elle ne marche pas, elle glisse comme une liqueur douceâtre dans la gorge. Des fougères mortes ceinturent ses jambes. Son sexe est celui d'une petite fille. Elle fait un tour sur elle-même, je vois ses fesses rebondir légèrement. Je ne sais pas encore si cela doit m'exciter. J'empoigne l'écorce pour ne pas crier. Du sang coule lentement de mes mains, fait une flaque sur la mousse.

Alors, elle s'allonge sur le sol, les morceaux de branches craquent, mangent son corps. Elle semble regarder la lune, les constellations, le ciel rougit. Mes joues brûlent, comme de honte d'assister à tout ça, cette scène dont j'ignore tout. Le halo bleu augmente, explose l'air environnant. Des dizaines de moustiques muets me mordent les bras et le visage. Les arbres étirent leurs branches vers le corps bleuté de celle dont je ne saurais jamais le nom. S'étirent et l'attachent. Lui écartent les membres, elle ne paraît ressentir aucune douleur, je ne vois pas son visage mais je sais qu'elle ne souffre pas. Elle est une croix aux confins d'une forêt magique. Une croix bleue appelant aux plaisir d'une nuit singulière. D'autres branches lui entourent les seins, passent sous ses fesses, autour de sa gorge. Ligotée dans le silence perpétuel du ciel et de la nuit mélangés.
Mes bras étreignent le tronc de l'arbre, comme ils le faisaient sur le corps de ma mère quand elle me couchait ces soirs d'orage et de tempête. Alors que je pense que la fin de la scène est proche, une dernière branche, recouverte d'un lierre doux, se dirige vers le sexe brillant de la fille. Elle y pénètre, doucement, puis en ressort, du sang macule les feuilles, certaines tombent en poussière fine sur la terre. Le souffle de la fille s'entend maintenant, résonne dans la forêt, se faufile entre les arbres spectateurs, frôle ma peau tendue, mes lèvres, mes doigts serrant toujours fort l'écorce. Son souffle remplace le vent, prend la place de chaque étoile de chaque constellation, imbibe le ciel.

Quand le silence revient, la branche pénètre à nouveau le corps, pénètre et ressort, et pénètre, pénètre. Je ne me souviens pas d'avoir ressenti quelque chose d'aussi intime, fort, puissant, avant cet instant. Je ne me souviens même plus d'avoir existé avant cette nuit. Je ne sais plus rien de ma mère, plus rien de sa mort, plus rien de ce qui me constitue. Je me mêle au souffle, au silence de la forêt, à la pénétration extatique de cette branche sanguinolente. Mon corps, maintenant entièrement nu, mon sexe toujours levé en direction de la constellation du chien, s'imprègne de l'odeur de mon arbre jusqu'à s'y fondre intégralement. Au bout de mes bras, à la place des mains, des feuilles de chêne, des bourgeons, la fraîcheur de l'air me fait du bien, me fait me sentir appartenir à la forêt, d'être partie intégrante de ce monde jusque là ignoré. Sur ce qui était mes bras, frémit une pellicule de lierre froid, crissant, murmurant un langage que je ne connais pas. Deux branches rigides, fortes, recouvertes d'un sang frais et vierge. Je ne peux contrôler mes mouvements. Je ne suis plus caché de cette fille offerte à quelques joies incroyables.

Elle est si proche de moi, qu'en cet instant précis, je sais que ce qui se déroule sous mes yeux, pleins d'une sève miraculeuse, n'est en rien un spectacle auquel j'assisterai impuissant.

Il est deux heures du matin, ma mère, ou plutôt le fantôme de ma mère s'approche de moi, glisse sa tête sur mon épaule : tu as fini tes devoirs ? J'acquiesce, silencieux. Depuis cette nuit étrange, j'ai décidé de ne plus parler, jamais, je ne tolère plus les sons qui proviennent de ma gorge, ces sonorités grossières, tapageuses, comme des outrages aux bruissements du vent dans les arbres. Un enregistrement des Gymnopédies d'Éric Satie se diffuse mélancoliquement dans la cuisine, comme un homme buvant son café devant le poêle à bois, à la façon de la solitude glorieuse dont sont faits les silences que l'on n'entend que la nuit.

LCbeat





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