20.3.09

Sahkti

"Comme la nuit paraît longue à la douleur qui s'éveille." (Horace)

La nuit. Cette nuit tant aimée. Elle arrive. Silencieuse. Elle s'installe à pas feutrés et elle attend. L'attente. Quelle attente... Quelle attente?
Celle du premier battement de coeur. Ce battement que l'on devine au plus profond de sa chair. Ce battement régulier presque irréel. Il est là. Bel et bien là. Il se fait sourd. Avant de frapper à la porte. De plus en plus vite. De plus en plus fort. Il crie, il hurle, il est vivant. Impossible d'entendre autre chose que ce battement de coeur perdu tout au fond de soi. Bruit régulier. Agaçant. Insupportable. Insurmontable. Il résonne dans chaque partie du corps.
A chacun de ses coups, sa complice sourit. Cette compagne fidèle qui veille depuis trois jours. Sans jamais prendre de repos. Présente. Toujours présente.
La douleur...
Amante des jours et maîtresse des nuits. Répétant ses gammes sur cet instrument qui lui est offert. Quel bel objet de plaisir dont s'emparer avec volupté.
Le ballet peut commencer. Les notes de musique ont envahi l'espace. Stridentes. Les danseurs sont en place, le chef d'orchestre donne le ton. Symphonie infernale. Cacophonie. Embouteillage des sons. Elle doit se faire entendre. Elle veut faire l'amour à ce corps qui lui est livré, abandonné à ses supplices. Quelle intensité. Quelle ferveur dans son attaque. Chacun de ses coups la renforce dans son envie de se répandre. D'exploser. Exploser. Oui. Une explosion. Un feu d'artifice de souffrance. La chair humaine n'est pas en reste. Elle participe, se tord, se convulse, épouse cette moitié enracinée.
Le corps humain est magnifique. Il va chercher au plus loin de ses réserves vitales l'essence même de sa résistance pour entreprendre cette chevauchée avec la douleur. Il lutte, il pactise, il ironise, il fraternise, il séduit, il surprend.
Infatigable combat, inégal conflit. Chorégraphie interne dont on ne peut être que spectateur.
Attendre. Attendre encore et toujours. Mais attendre quoi? Que ce soit fini...

"Fini! Mot absurde. Pourquoi fini? Fini et pur néant sont absolument identiques.
Emporter l'être créé et le réduire à rien? C'est comme si cela n'avait jamais été.
Et cependant cela s'agite dans le cercle comme si cela existait. J'aimerais mieux encore le vide éternel." (Faust)

Le vide. Rêver de vide. De vide et de vertiges. De tours de manège à la vitesse de la lumière. D'âme qui se libère. De corps qui se consume.

La représentation est terminée...
Devant les cris des spectateurs, une ouvreuse leur a distribué des bonbons. Des petits bonbons tout roses. Tout ronds.
Dans un ultime sursaut, le corps traverse un dernier spasme et s'apaise.
Epuisé. Moribond. Réclamant son répit. Demandant grâce. Souhaitant fermer les yeux. Juste ça. Les fermer. Longtemps. Le plus longtemps possible.
Non! Il faut les garder ouverts. Regarder le soleil. Admirer les étoiles. Se plonger dans la lumière. Surtout pas d'obscurité muette. Elle invite les battements de coeur. Ces battements de coeur qui... Et leur complice qui...

Les invités de la séance nocturne sont déjà arrivés. Le spectacle peut recommencer. A guichets fermés. Roulement de tambour. Le premier battement de coeur vient saluer...
Et si on faisait comme si aujourd'hui c'était relâche? Non? Dites oui. S'il vous plaît...
Même si la douleur morale est plus intense que la souffrance physique...

Un hommage, qui plus est bien mérité, ce texte est une pure merveille, un enchantement à chaque relecture. Merci.

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